Interview de Jessica martin

Jessica, parle-nous de ton métier.

Avec plaisir ! Je suis une artiste, plus précisément comédienne et chanteuse. C’est vrai que le terme « artiste » est large mais il renvoie bien à la largeur des possibilités qui se cachent derrière lui. Par exemple, le comédien peut aussi être ou devenir metteur en scène, réalisateur et vice versa. C’est un domaine vivant, dans lequel rien n’est figé et qui se nourrit du mouvement, de la vie en quelque sorte.

En ce qui me concerne, il s’agit d’exprimer et de faire vivre des émotions à travers différentes formes qui me passionnent : l’acting (qu’il s’agisse du théâtre, du cinéma ou de la télévision), le chant et l’écriture.

Mon métier est donc « Artiste », et ce, dans toutes les formes que j’ai évoquées.

J’insiste sur l’aspect professionnel de ce(s) métier(s) encore trop souvent considéré(s) comme un passe-temps ou un « plan D ». La rigueur, le travail, la concentration et le tout sur la durée ne sont pas une mince affaire et il m’est important de le souligner. Le talent est un plus, une base non négligeable mais ne peut aucunement se suffire à lui-même.

Il en est de même pour la passion. C’est d’ailleurs cette passion pour l’écriture, l’acting et le chant qui m’a poussée à suivre cette voie ; même si rien d’autre ne m’y prédestinait.

La passion a été ton moteur, mais as-tu eu d’autres déclics ?

En effet, la passion ne fait pas tout et les déclics se sont manifestés à différentes périodes de ma vie.

Enfant, je me voyais déjà chanter sur les plus grandes scènes et l’acting m’intéressait de plus en plus. J’étais intriguée par les films que je voyais et je me demandais comment ils étaient réalisés. Je savais aussi que j’aimais le théâtre, même si ma vision de cette discipline était bien étroite à l’époque…

Et puis, avec le temps, la réalité a pris le dessus : cette passion ne pouvait être que passion, un rêve d’enfant, et en rien une réalité. J’ai fini par écouter mon entourage qui m’a confortée dans l’idée que « artiste » n’était en aucun cas un métier, d’autant plus que j’étais assez bonne à l’école.

Pour mon entourage direct et indirect, me lancer dans l’art aurait été un « gâchis de potentiel », une entorse à l’avenir brillant que voyaient mes professeurs pour moi.

Parallèlement, j’étais aussi très intéressée par les langues étrangères, les coopérations internationales, la justice et j’ai tour à tour pensé à devenir avocate puis intégrer l’ENA ou SciencePo pour travailler dans les ambassades ou les consulats ou enseignante. J’ai donc suivi une autre voie. J’ai effectué une Licence de Langues Étrangère Appliquées à l’université de Guyane, ce qui m’a quand même plu.

Mon premier contact avec l’acting a eu lieu à ce moment. Cédric Ross, qui faisait partie de la même promo, cherchait des acteurs pour son court-métrage « Révélations intimes ». J’ai passé le casting et j’ai obtenu un rôle. Pendant le tournage, qui a eu lieu à l’ADNG, non loin de Saint-Laurent du Maroni, je me rappelle avoir pensé : « Mais c’est ça, c’est ce que je veux faire ! ».

Entre temps, j’ai obtenu ma licence et suis partie en Angleterre. J’ai été assistante de français dans un collège/lycée.

Je me suis ensuite installée à Lille pour effectuer un Master Interculturel et Coopération internationale. J’avais déjà ma carte étudiante, ma très petite chambre universitaire mais je sentais, qu’au fond, ce n’était pas la voie que je me devais de suivre.

Je suis donc retournée en Angleterre et après moultes réflexions, j’ai pris la décision de me lancer dans le domaine artistique.

Même si ce changement de direction a pu paraître brutal et irréfléchi pour certains, mon choix était fait. Je me suis donné les moyens de faire ce que je voulais vraiment et mon « entêtement » a payé. Mon entourage a fini par réaliser que je me débrouillais plutôt bien. Leur scepticisme est devenu de l’acceptation, l’acceptation est maintenant de la fierté.

Raconte-nous ta rencontre avec Kokolampoe

Eh bien justement, lors du tournage de ce court-métrage, j’ai fait la rencontre de Stéréla Abakamoufou. Je me rappelle avoir beaucoup apprécié son implication dans le jeu.

Je me suis renseignée sur son parcours et c’est à ce moment que j’ai découvert le Théâtre École Kokolampoe. Quelques années plus tard, une fois de retour en Angleterre, j’ai contacté l’école et leur ai fait part de mon envie d’intégrer leur formation.

Je n’ai clairement pas caché ma motivation et ma candidature a été retenue.

J’ai pu intégrer l’école et les expériences réalisées n’ont fait que confirmer mon choix.

Qu’est-ce qui t’a marqué lors de ta formation au TEK ?

Ce que j’ai apprécié lors de cette expérience au TEK, c’est d’abord la déconstruction du cliché que je me faisais du théâtre. Vous voyez, l’image d’une exagération dramatique lourde que beaucoup ont encore aujourd’hui ?

Quand bien même je savais que j’aimais l’acting, j’avais encore cette image du théâtre un peu barbante.

Ma première expérience forte a donc été de réaliser à quel point le théâtre se rapproche du vrai, du réel, du concret et de l’humain dans ce qu’il a de plus sincère.

Il y a aussi les rencontres avec les autres comédiens stagiaires, les moments forts que nous avons vécus ensemble.

Comme a eu l’occasion de le dire Ewlyne Guillaume, le métier de comédien est un des métiers les plus sincères. Quand bien même nous interprétons le rôle d’un personnage qui, de prime abord, semble être à l’opposé de qui nous sommes réellement, le comédien sur scène est à nu, vulnérable et expose une partie de lui.

Lorsque plusieurs personnes exposent totalement leur sensibilité, leur personnalité à travers des ateliers ou des projets communs sur la durée et sans possibilité de se cacher derrière des façades, il y a forcément un lien qui se crée.

C’est pourquoi, lorsque je pense au TEK, je pense forcément à mes camarades de la formation car nous sommes liés par cette expérience. Même après des mois voire des années sans se voir, quand on se croise, il y a ce plaisir réel de se retrouver, ce « tu te souviens… ? » qui n’a même pas besoin d’être dit parce qu’ « on sait »….

La richesse des intervenants m’a aussi beaucoup plu et ils m’ont tous marquée à leur façon

Je dirais que l’ensemble fait que c’est une expérience marquante et surtout complète.

Comment arrives-tu à gérer toutes les disciplines que tu pratiques ?

D’abord, la passion !

Elle est telle, que je n’ai pas l’impression d’avoir d’autres choix que de l’exprimer mais aussi et surtout l’organisation. Sans organisation, sans plan d’actions concret, je ne pense pas qu’il soit possible de faire grand-chose.

Quelle est ton actualité ?

En ce qui concerne la musique, je suis en autoproduction. J’ai sorti un EP de cinq titres puis un album de treize titres en septembre 2021. Je travaille essentiellement sur la promotion de ce dernier.

Sur l’actualité théâtre, nous sommes en tournée avec la pièce « Photo de groupe au bord du fleuve » de Valérie Goma. Il s’agit d’une adaptation du roman éponyme d’Emmanuel Dongala qui a pu voir la pièce lorsque nous l’avons jouée à Paris. C’est une fierté partagée que de pouvoir dire qu’il a beaucoup aimé le spectacle.

Et puis, il y a aussi mon premier long métrage en tant qu’actrice principale, « Le lien qui nous unit » réalisé par Pélagie Serge Poyotte, qui a reçu dernièrement le prix « Révélation Canal + » au FEMI.

Le film a été diffusé sur Canal+ et j’en ai eu de très bons retours. Je peux dire que ça donne un petit « boost » pour les projets à venir.

Car, quoi qu’on en dise, le métier de comédien reste difficile parce que là où dans la voie traditionnelle, il peut nous arriver d’être au chômage une fois ou deux fois l’an, le comédien se retrouve techniquement au chômage après chaque projet.

Cela dit, un projet m’en a souvent apporté un autre. Je touche donc du bois pour que ça continue !

Que dirais-tu aux personnes qui veulent suivre la voie artistique ?

Tout d’abord, je dirais qu’il est capital de savoir ce qu’on veut. Savoir ce qu’on ne veut pas est un bon début mais n’est, à mon sens, pas suffisant. Plus vous serez clairs dans vos intentions mieux vous pourrez agir et plus vous serez efficaces.

Ensuite, l’action. Agir, faire. Ne pas craindre de mal faire parce que le risque zéro n’existe pas et qu’écouter ses peurs mènent à l’inaction. Les expériences, qu’elles soient mauvaises ou bonnes restent, dans tous les cas de figure, utiles.

Ne pas avoir peur de se tromper, de frapper aux portes même si derrière, on vous entend frapper et qu’on ne vous ouvre pas.

Alors c’est assez bateau, mais il faut oser, ce qui résume un peu tout. Oser et faire, car le simple fait de vouloir ne suffit pas.

Un leitmotiv à partager ?

“Je refuse de désespérer parce que désespérer, c’est refuser la vie. Il faut garder la foi.” Citation d’Aimé Césaire

Le choix d’une seule citation a été difficile mais j’ai finalement choisi celle-ci parce que c’est un peu mon leitmotiv.

Oui, il y a eu des moments où je me suis laissé aller au désespoir et à broyer du noir pendant quelques instants mais je me suis rendue compte que ce qui en résultait finissait par en avoir le goût, la couleur, et la forme. Pas terrible, hein. Cela dit, l’inverse est aussi vrai! Alors, je me ressaisis, je porte mon plus beau sourire et j’avance pleine d’espoir et de paillettes dans les yeux (et surtout des idées claires et des objectifs concrets) et, malgré quelques déceptions et désillusions, les résultats sont généralement très positifs. Le jeu en vaut définitivement la chandelle!

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