
Regard sur l’année nouvelle
Ewlyne Guillaume, Co-directrice du Centre Dramatique Kokolampoe et metteure en scène.
Dans quel état d’esprit abordez-vous 2021 ?
Nous sommes dans une période qui demande plus de profondeur, même-si on aime rire en écrivant. Il y a une forme de gravité qui s’impose, c’est une période de réflexion. On a toujours réfléchi sur notre programmation, mais malgré tout le soin que nous y avons porté, je crois que le moment est venu de se pencher sur des projets engagés et sensibles. Notre état d’esprit est dicté par les difficultés du temps, tout en respectant l’esprit du théâtre équitable.
Comment pensez-vous y parvenir ?
Il faut s’ouvrir aux autres, malgré ces conditions difficiles de voyage.
D’abord, en mettant l’accent sur les résidences. Le centre dramatique a toujours accueilli des artistes du monde entier : la Russie, le Vietnam, le Japon. Mais cela restait ponctuel, comme une plongée dans l’ailleurs. Là, il s’agit d’avoir une nouvelle approche, moins centrée sur l’exigence de rendus figés et contraints. Apprendre la patiente d’accueillir des personnes avec un projet, qui émergera peut-être durant leur séjour en Guyane ou peut-être plus tard. En ce moment, nous accueillons une jeune autrice de théâtre issue de l’ENSATT et leurs responsables partagent notre vision.
La programmation de Gustave Akakpo participe-t-elle de cette ouverture ?
Tout à fait. Gustave Akakpo, est un auteur et comédien togolais, ami du théâtre. Il sera en résidence de création du 18 février au 3 mars. Trois de ses œuvres seront à l’affiche : Habbat Alep, Comme la France est belle ! et La véridique histoire du petit Chaperon Rouge, que j’aurai le plaisir de mettre en scène.
Il est parmi les rares écrivains à pouvoir parler des problèmes graves avec un humour décapant et truculence. Parfois pour sensibiliser le public, on peut utiliser la comédie, on peut le toucher autrement. C’est bien pour la Guyane, de recevoir des auteurs qui nous ressemblent. Son écriture est musicale et empreinte d’Afrique, mais sans être ethnocentrée. C’est quelqu’un de notre temps, ouvert au monde et ça, ça fait beaucoup de bien.
D’ailleurs, la programmation fait toujours une belle place aux créations guyanaises, car il faut s’entraider. Il est important que nous diffusions nos propres créations. C’est la seule façon de progresser et d’oxygéner sa créativité.
Comment envisagez-vous l’année pour les étudiants du DUPMA ?
La transmission est plus que jamais essentielle. Dans ma direction avec les acteurs, j’ai acquis encore plus de bienveillance. Je suis très sensible à la naissance du talent, à cette foi en soi. On croit de moins en moins, parce qu’on est fragilisé par la société de consommation, désenchanté face à la politique, face à la science. Pourtant, je crois en une amélioration possible du monde grâce à ces jeunes professionnels.
Nous restons aussi ouverts à l’échange entre professionnels et notamment avec le Théâtre des Calanques à Marseille et le Collectif Ma’théâ, à Reims. Avec la crise sanitaire, dont nous ne connaissons pas l’issue, se produire en spectacle va être très difficile cette année. Nous avons cependant choisi d’accueillir 8 étudiants, dont nous suivons les progrès au sein de leur école de théâtre. Nos étudiants, en formation au DUPMA, entameront un travail de création avec eux, avant de partir à leur tour en stage dans l’hexagone, pour continuer la collaboration. Plus qu’un jumelage, c’est une expérience partagée, des plateaux partagés, de nouveaux liens qui se créent.
Les restrictions sanitaires ne sont donc pas un obstacle à la création ?
Ça peut paraitre un peu utopique de dire « on va envoyer nos comédiens en stage », mais cela se fait dans le cadre d’un diplôme universitaire ; il faut en assurer la continuité.
Et bien sûr, on espère accueillir des spectacles. Nous recherchons et mettons déjà en place des solutions pour accueillir le public en extérieur. C’est une autre dimension du plateau technique à trouver. Cela veut dire aussi que nos créations, qui portaient jusque-là la marque du confinement, à 5,50m d’ouverture de plateau, peuvent s’imaginer dans des espaces plus larges. À partir de cela, on peut travailler de façon plus ample, or, encore une fois, notre époque a besoin d’amplitude. Dans cette période où tout tend à se racornir, se refermer sur soi, l’esprit des artistes reste avide d’espace et de lumière.