Quel est votre métier ?

Je suis une autrice, mais je ne le vois pas comme un métier, plus comme ma façon d’être au monde, de l’attraper. Je me définis comme quelqu’un qui fait face au réel, par rapport à tout ce que je peux en percevoir. Et je le restitue sous différentes modalités ; que ce soit un film documentaire, de l’écrit ou une performance, mais toujours avec une écriture poétique.
Mon statut d’autrice me permet de survivre à la société contemporaine que je trouve brutale.
J’habite en permanence un état de colère, comme si je portais un volcan en bandoulière. Cette colère a pris corps petit à petit, en comprenant comment je suis devenue noire et femme… Alors le fait d’entrer en écriture, de passer par la création, m’a permis de survivre et d’être en paix avec les gens que je côtoye.

Comment vous est venue l’envie d’être autrice ?

Enfant, on a l’intuition de ce que l’on veut devenir, la société (le système scolaire) te pousse à rentrer dans un moule, avec des modèles de réussite et d’échec. On perd un temps fou à ne pas écouter ce que les jeunes ont à dire. Ado, j’avais un carnet d’écriture, où je griffonnais déjà des poèmes et des mots. J’y avais inscrit en vert « je veux être artiste ». A la faveur d’un déménagement, des décennies après, j’ai retrouvé ce carnet et ça m’a beaucoup émue. J’avais oublié ce vœu, mais il a fait son chemin.
Je n’ai jamais eu de plan de carrière. Les choses se sont faites naturellement et un jour je me suis rendue compte que j’étais artiste. Avant, j’ai été attachée de presse, puis journaliste. Mais le journalisme ce sont des faits, une façon de raconter, un moule. Or, je cherche toujours à dire autrement les choses, à raconter ce qu’il y a derrière les faits. Alors j’ai glissé vers la réalisation, et j’ai affirmé cette écriture poétique et politique autour de l’afro-descendance, un thème qui m’a toujours intéressée.
Aujourd’hui, je peux dire que c’est ce qui me nourrit… et qui me pompe aussi.

Comment s’est faite la rencontre avec Kokolampoe ?

En 2014, j’étais au théâtre des Halles pour la création de la pièce « Le temps suspendu de Thuram». Alain Timàr, le metteur en scène, me présente un comédien en me demandant « A qui il te fait penser ? A Kadhafi voyons ! Ça te dirait d’écrire une pièce sur Kadhafi ?»
C’est un peu résumé, mais c’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Serge Abatucci, puis d’Ewlyne Guillaume et d’Emilie Blettery.
A la suite de cette rencontre, il y a eu une première résidence d’écriture en 2019 au Centre dramatique Kokolampoe, puis une seconde en Martinique début 2021.
Le texte abouti, a été présenté en lecture publique à Tropiques Atrium, à Fort-de-France en mars, puis au Festival OFF d’Avignon en juillet.
Ecrire « Moi Kadhafi » a fait écho à mes colères ancestrales. Dans cette pièce, je parle depuis moi-même, Afro-descendante, qui a eu pour parent La-honte et La-colère. Je ne m’intéresse pas aux polémiques politiciennes que Kadhafi a pu susciter, mais à sa vision panafricaine, anticolonialiste et anti impérialiste. J’ai beaucoup lu sur la Lybie en amont. Je n’étais pas là pour faire le portrait de l’homme politique, mais bien de la façon dont il a exprimé la frustration des peuples, l’internationale des dominés. Les peuples caraïbéens se retrouvent dans ce combat contre l’hégémonie occidentale.

Que vous apporte l’écriture théâtrale, par rapport à d’autres formes de création ?

Ce que j’aime dans l’écriture théâtrale, c’est que tout se passe au moment présent, tout est vivant. On est entre nous, le plateau et la salle. Je n’ai pas beaucoup d’expérience en écriture théâtrale, mais j’aime cette ambition de créer un nouveau monde et de faire monde avec le public, les comédiens, la régie. C’est un espace de ré-invention, une relation directe. Pour moi, c’est une jubilation que je ne retrouve pas dans l’écriture littéraire ou la réalisation documentaire. On touche à quelque chose de mystérieux qui est en nous. Federico Garcia Lorca disait qu’il fallait bruler les rideaux des théâtres pour confondre ces 2 espaces : scène et plateau. Jeune, j’avais été saisie en lisant ces mots.
J’ai adoré la dernière partie de la résidence de « Moi Kadhafi » pour ça. Avec Serge, Alain Timàr et Alfred Alexandre, qui m’assistait sur la dramaturgie, on était ensemble pour mettre sur pied un nouveau monde.

Vous êtes en Guyane pour tourner un documentaire, pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

En fait, je réalise actuellement une série documentaire littéraire de 70 épisodes de 6 minutes. J’ai sélectionné 14 livres antillo-guyanais et, dans chaque livre, j’ai pris 5 extraits qui seront lus par un comédien ; ce qui permettra au téléspectateur de plonger dans la langue et l’univers d’un auteur. L’idée, c’est de documenter chaque extrait avec non seulement des situations de la vie nos territoires, mais également des témoignages de personnes lambda sur chaque thématique abordée. C’est de la poésie documentaire et politique, arrimée au réel.
J’ai également sorti un recueil de 4 longs textes poétiques : « Eclaboussure » qui parle de nos errances, des rivages arrachés, des noms qui nous ont été volés, de nos quêtes de jarres remplies d’or et du pays qui m’habite : la poésie.
En novembre, à Paris, Nantes et Bordeaux, dans le cadre du Mois Kreyol, je vais performer sur scène un de ces textes, dans une forme chorégraphique.

Pour finir, quelle citation aimeriez-vous nous partager ?

Une citation extraite de la pièce de théatre « Noces de sang », de Federico Garcia Lorca :
« Tant qu’on est vivant, on se bat ! ».

Co-directeur du Centre dramatique Kokolampoe, comédien, scénographe

 

Cette interview avait été réalisée et publiée en septembre 2020, sur notre page Facebook, à l’occasion de l’ouverture de la saison.

Qu’est-ce qu’un Centre dramatique ?

Les centres dramatiques nationaux sont nés en 1946, au lendemain de la libération. La politique de décentralisation théâtrale avait pour but de redynamiser les régions en apportant du lien social, à travers le théâtre populaire. Un des artistes précurseurs de ce mouvement fut Jean Villar, à qui l’on doit le festival d’Avignon. Par une démarche volontaire d’artistes et de politiques, le théâtre sort des « hauts lieux culturels » pour rencontrer la vie, entrer dans le quotidien des français.

Comment est née l’idée d’un Centre dramatique à Saint-Laurent ?

C’est véritablement la rencontre entre les artistes et Léon Bertrand, maire de Saint-Laurent à l’époque, qui a permis à cette structure de voir le jour. Tout d’abord sous le prisme de la musique, puis progressivement le théâtre a trouvé sa place, dans un projet structurant pour cet espace multiculturel. Il s’agissait d’accompagner les jeunes à écrire et dire leur culture, tel un laboratoire, d’où ont émergés les premiers acteurs qualifiés.

Quels sont les enjeux du label scène conventionnée ?

Kokolampoe scène conventionnée pour un théâtre équitable, se construit dans une idée de formation et de quête d’excellence. Si le conventionnement ministériel est une reconnaissance, c’est aussi un contrat d’objectifs :

– accueillir des spectacles nationaux (hexagone et dom), des résidences d’artistes venus du monde entier, mener des expérimentations pour l’exploration du théâtre sous toutes ses formes et dans tous ses métiers

– être dans la transmission à travers des formations universitaires de haut niveau et des masterclass, avec le partenariat de L’ENSAT, de l’université de Guyane et d’autres théâtres écoles de renom, et ainsi faire sortir des professionnels du spectacle qui vivent de leur art, malgré la conjoncture locale

– relever le défi de continuer à s’inscrire dans le melting-pot culturel et linguistique unique de l’ouest guyanais

C’est cette synergie qui donne au centre dramatique Kokolampoe cette couleur si particulière et lui permet de contribuer au développement culturel et économique du territoire.

Quid de son encrage sur le territoire régional justement ?

Le centre dramatique Kokolampoe, établissement d’intérêt national, fruit de la politique de décentralisation, est d’autant plus imbriqué et impliqué dans le territoire, qu’il n’est pas soumis comme les CND, à la nomination ministérielle d’un directeur pour 3 ans.

Dans les Antilles et en Guyane, on assiste à la naissance d’un schéma régional fortement ancré dans son territoire, avec un dialogue qui se construit avec les pays de la caraïbe et le Suriname.

Directrice de IUFC, Université de Guyane

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre rôle au sein de l’Université ?

Depuis février 2021, je suis la directrice de l’Institut Universitaire de Formation Continue. A l’origine, je suis enseignante agrégée d’anglais ; j’enseigne la civilisation britannique. Je suis arrivée en Guyane en 2015, au moment de la création de l’Université. J’ai la responsabilité de la filière langue, qui regroupe 3 licences : anglais, LEA et licence professionnelle tourisme. La filière langue est celle qui rassemble le plus grand nombre d’étudiants. Je contribue à l’élaboration et à l’écriture du contenu de ces formations.

Étiez-vous présente lors de la création du DUPMA ?

En effet, je suis là depuis le début. Tous les DU doivent être rattachés à une composante de l’Université et celui-ci est rattaché au département lettres et sciences humaines. C’est à ce titre, que le directeur de l’IUFC de l’époque avait dirigé Serge Abatucci et Ewlyne Guillaume vers moi, en tant que directrice adjointe du département lettres. J’ai participé activement à la naissance de cette formation et à l’écriture de la maquette. Mais la difficulté a été de mobiliser les professeurs du département lettres et sciences humaines sur ce projet. J’étais membre élu des instances de décision et j’ai eu l’honneur d’en présenter la maquette en commission.

Pourquoi vous êtes-vous investie dans ce projet ?

Il me tient à cœur, parce que j’adore le théatre. Je m’y suis vraiment engagée à titre personnel. J’étais prête à venir à Saint-Laurent pour donner des cours sur le théâtre shakespearien. Le défi que j’ai aujourd’hui en tant que directrice de l’IUFC, c’est d’associer plus étroitement les collègues du département LSH à ce DU.

Ce qui me plait dans la démarche du Centre Dramatique, indépendamment de la collaboration administrative et pédagogique avec l’Université, c’est ce projet de transformer un lieu d’enfermement et de souffrance, en un lieu d’art et d’ouverture. C’est symboliquement fort.

Quelles ont été les retentissements de la crise sanitaire sur les formations de l’IUFC ?

Elle a fait évoluer l’organisation des formations vers le format hybride : une part des cours en présentiel et une autre à distance. Pour cela, l’université a acquis une licence zoom par formation. Dans le cas du DUPMA par exemple, il y a beaucoup d’intervenants professionnels extérieurs, cela représente un certain budget de les faire venir. Réduire la part des cours en présentiel, permettrait de diminuer le coût des formations et d’ouvrir l’accès à un plus grand nombre d’étudiants.

C’est pourquoi, nous travaillons à la mise en place d’une plate-forme de mentoring, qui permettrait aux étudiants d’avoir un suivi personnalisé à distance pour l’ensemble des filières.

Quels sont les perspectives d’évolution de l’offre de formation pour les métiers du spectacle ?

Nous avons échangé avec l’ENSATT, partenaire de la formation, à ce sujet. Sur le prochain contrat quinquennal de l’Université, il est difficile d’envisager l’ouverture d’autres formations ou la transition cers une licence ; du point de vue financier ou des ressources humaines. L’idée aujourd’hui, est de mener à bien une seconde promotion pour avoir un certain recul sur la formation et ses débouchés. L’Université fera un bilan pédagogique et une enquête auprès des diplômés à N+1. Nous aurons alors suffisamment d’éléments pour inscrire ce DU au niveau des répertoires spécifiques ou nationaux. Ce qui permettra d’avoir le soutien de la profession et de diversifier les possibilités de recrutement et de financement.

Ce qui est important également, c’est de renforcer les liens avec les Universités des Antilles (Guadeloupe et Martinique), afin que les étudiants et les compétences puissent davantage circuler.

Comment envisagez-vous le recrutement de la deuxième promotion ?

La première étape est la candidature sur la plate-forme e-candidat. Ensuite, un entretien est absolument nécessaire, car la formation est très exigeante et payante. Il est important de recevoir les candidats, interagir avec eux pour savoir “ce qu’ils ont dans le ventre”.  Le DUPMA est sur 2 ans et demande beaucoup d’investissement ; il faut être passionné ! Des jurys de sélection seront organisés en collaboration avec l’équipe du Centre Dramatique en présentiel ou en visioconférence. Notre ambition pour les étudiants, c’est la réussite.

Régisseur

Pouvez-vous nous parler de votre métier ?

Ce métier, c’est ma passion. Ce qui me passionne, c’est la polyvalence. On touche à tout ce qui fait le spectacle. Moi, j’ai commencé à jouer de la musique à l’âge de 12 ans. Aujourd’hui, même si je ne suis plus musicien à plein temps, je suis dans la continuité. Travailler sur le son, la lumière, le plateau, c’est créer une autre forme de musique. Bien sur en tant que technicien, on balaye plusieurs aspects, mais chacun a son domaine de prédilection et moi c’est le plateau, les installations, les constructions, participer à la scénographie. C’est vraiment mon truc.

Comment êtes-vous arrivé au centre dramatique ?

Je suis arrivé en 2012 pour la première promotion de la formation de technicien du TEK. Il y avait 8 techniciens et 15 comédiens. Je faisais partie d’un groupe et j’étais musicien. c’est comme cela que j’ai rencontré Serge Abatucci. Il venait régulièrement au village participer à nos fêtes et assister à nos concerts. Il nous a invité à voir des spectacles au théâtre. J’y ai été avec des membres du groupe et ça m’a plût. Un jour, il m’a parlé de l’ouverture de la formation. Ça m’a tout de suite intéressé, car c’était en rapport avec le spectacle ; il y avait un peu tous les domaines techniques (électricité, menuiserie…) un peu comme je faisais déjà avant, mais c’était structuré.  Alors, je me suis dit que j’allais essayer. J’ai fait trois mois de stage probatoire, durant lequel j’ai suivi la formation de comédien avec Ewlyne Guillaume. C’était lourd et rigoureux, mais ça m’a permis de comprendre la place des comédiens. Et puis la formation technique a commencé.

Qu’est-ce que cette formation vous a apporté ?

Les trois premiers intervenants m’ont particulièrement marqué : Pierre Mélé, Marc Simoni et Pascal Laajili. C’est vraiment auprès d’eux que j’ai développé mes compétences techniques. Ce sont des professionnels avec un grand savoir-faire et qui m’ont montré l’étendue des possibilités du métier. Parfois, je prenais plus de temps que les autres pour comprendre une notion, mais j’étais super motivé. Alors Pascal proposait de rester une heure de plus avec moi à la fin des cours, pour approfondir. Tout ça m’a beaucoup aidé.

Quel a été votre moment marquant ?

À vrai dire, c’est un spectacle, celui de la promotion 2014 : l’Illiade. J’étais à la fois technicien et comédien. La scénographie était très complexe, mais justement c’était excitant de travailler dessus. Je suis vraiment fier d’y avoir participé. Il y en a quelques photos sur le site internet Kokolampoe.fr.

Après votre formation, vous auriez pu partir travailler ailleurs, qu’est-ce qui vous a convaincu de rester ?

En 2013, alors que ma formation n’était pas terminée, on m’a proposé un contrat de 20h par semaine. Je travaillais après les cours et sur les spectacles. Ça m’a permis de me familiariser plus vite à l’environnement et finalement je m’y sentais bien. Alors lorsque la formation s’est achevée, j’ai accepté un poste à temps plein. Mais j’ai quand même un peu travaillé à l’extérieur, notamment au Festival de Cognac en 2015 en tant que technicien et au Festival d’Avignon en 2014 en tant que comédien. C’était de bonnes expériences. Et puis, ici, je travaille sur le FIFAC. Il y a beaucoup à faire en Guyane.

Qu’en a pensé votre entourage lorsque vous avez choisi cette voie ?

Jusqu’à maintenant, il y en a qui ne savent pas ce que je fais. Mais ils s’intéressent, ils viennent voir les spectacles, ils me demandent en quoi ça consiste exactement. Aujourd’hui, je suis régisseur et je m’occupe de tous les aspects nécessaires au bon déroulement technique des spectacles, avec Serge Abatucci, qui supervise le tout. Il y a beaucoup à faire et à gérer : l’entretien du matériel, des bâtiments, la sécurité des cases, accueillir les artistes durant leur séjour en résidence, manager les équipes qui viennent en renfort sur les événements…

Quel regard portez-vous sur l’évolution du centre dramatique depuis 2012 ?

Le Centre s’est beaucoup développé ; les spectacles et le festival des Tréteaux du Maroni gagnent en qualité tous les ans, que ce soit sur l’organisation générale ou la technique spécifiquement. Il y a plus de spectacles et plus de demandes de résidence. Ce qui est bien, c’est qu’il y a aussi de plus en plus de saint laurentais qui viennent et qui s’intéressent au théâtre. Et pas seulement pour voir des spectacles, mais aussi pour apporter quelque chose, comme Samuel Selig et les jeunes sans limites, qui participent à la scène ouverte des Tréteaux. Maintenant, il faudrait que cette évolution se ressente aussi dans les installations. Pour l’avenir proche, mon souhait serait qu’on ait une plus grande salle pour pouvoir accueillir plus de public. Il est là, il est demandeur et de plus en plus souvent on ne peut pas tous les recevoir. Ça serait vraiment une belle évolution.

Quel est votre métier ?

Mon métier principal, c’est costumier. Je travaille pour des compagnies de théâtre, le cirque ou l’opéra ; de temps en temps pour le cinéma ou la danse. Un peu tout ce qui est lié au costume de scène. J’aime cette variété du spectacle vivant. Je découvre de nouvelles approches, avec des moyens différents. Par exemple, en venant à Saint-Laurent, j’amène le savoir-faire et l’exigence que j’ai acquis à l’opéra. Et inversement, lorsque je retourne à Paris, je ramène avec moi la créativité qu’on a ici, la capacité à s’adapter, à être rapide et efficace. C’est toujours intéressant de faire communiquer les régions à travers le spectacle.

Parallèlement à cela, je porte le projet artistique d’une compagnie, les anthropomorphes. Nous réalisons des performances, qui passent souvent du costume. C’est partie d’une envie d’aboutir à des projets qui soient complètement les miens, car je pense que pour rester créatif, c’est important de créer pour soi. Ça nourrit aussi pour apporter aux compagnies avec lesquelles on travaille. Pour moi, tous les gens de spectacles sont des metteurs en scène, car chacun met en scène à son niveau : en tant que costumier, on amène des costumes qui vont sur scène, les comédiens y apportent leurs idées. D’ailleurs, les metteurs en scène sont souvent d’anciens comédiens. Les gens de la technique sont aussi des artistes, et on a tous quelque chose à raconter, à apporter. On peut avoir des points de vue différents et qui amènent autre chose à l’ensemble.

En plus de cela, je fais de la scénographie, je monte parfois sur scène également, selon les projets.

Vous avez toujours voulu être costumier ?

En fait, j’ai commencé par des études scientifiques. J’ai fait une prépa en biologie, domaine que j’aimais beaucoup. Mais, je n’aimais pas du tout la prépa. J’ai rencontré quelqu’un qui faisait des vêtements et j’avais besoin de voir autre chose. Alors, un peu sur un coup de tête, j’ai décidé de m’inscrire dans une école pour apprendre à en fabriquer moi-même, je trouvais cela très créatif, ça me fascinait. Je suis donc renté à ESMOD à Paris. C’est une école très orientée stylisme modélisme. Je me suis vite rendu compte que le milieu de la mode n’était pas fait pour moi, que je n’avais rien à y apporter et c’était assez réciproque ! Heureusement, il y avait une troisième année de spécialisation en création scénique. J’ai alors entendu parler de l’ENSATT, j’ai tenté le concours et je l’ai eu. Ça été la révélation, je m’y suis tout de suite senti chez moi.

Il ne s’agissait pas que des costumes, mais être avec des étudiants dans d’autres filières du spectacle (comédie, lumière, son). Cette rencontre avec d’autres métiers et d’autres façons de travailler, j’ai trouvé que c’était extraordinaire. Dès ma sotie de l’ENSATT, j’ai été embauché et ça fait dix ans que ça s’enchaine, notamment grâce à l’ENSATT.

C’est un métier que je trouve passionnant, j’aime la couture certes, mais encore une fois les rencontres sont un élément central. Par exemple sur le spectacle de La Véridique Histoire du petit chaperon rouge, sur lequel je travaille actuellement, est également présent un scénographe camerounais, Dieudonné Focou. Il fait des choses extraordinaires et complètement différentes de ce que j’ai pu connaitre, c’est très enrichissant. Et évidement, il y a également les voyages, dans tous les sens du terme, qui permettent de découvrir de nouveaux endroits, que ce soit par les tournées en France métropolitaines ou en allant aussi loin qu’en Guyane. J’ai découvert des lieux que je n’aurais pas connus autrement et c’est vraiment génial.

Comment s’est passée votre rencontre avec le théâtre ?

C’est l’ENSATT qui m’a appelé et m’a proposé de travailler sur Le Songe d’une autre nuit. Je me suis demandé pourquoi moi ? J’ai une petite théorie là-dessus ; j’avais fait mon mémoire sur la manière dont les costumiers pouvaient être utiles à la rencontre entre les cultures et j’ai toujours pensé que le choix de me contacter devait être lié à ce mémoire. Quand on m’a parlé du montage de cette pièce en Guyane, avec des étudiants en fin de cursus, j’ai répondu oui sans aucune hésitation. J’étais prêt à partir dès le lendemain si nécessaire.

Mes premières expériences professionnelles se sont déroulées en Arménie ou en Finlande, donc être dans l’inconnu n’était pas une nouveauté. Mais l’inconnu guyanais n’est pas l’inconnu finlandais… Avant de partir, j’avais rencontré Jacques Martial, le metteur en scène, quelqu’un de passionnant. Du coup mon premier contact avec la Guyane, c’était à travers lui, qui m’a raconté son vécu.

Ma mission était double lorsque je suis arrivé : faire les costumes pour ce spectacle de fin de promotion et parler du costume aux étudiants, en tant qu’intervenant. Qu’est-ce qu’un costume, comment ça s’utilise ? Ce ne sont pas juste des vêtements. C’était une grande première pour moi, j’avais un peu la pression, car comme pour tous les projets, j’avais vraiment envie de réussir. J’ai appris à adapter ma façon d’aborder le sujet avec des étudiants non-costumiers.

Pour la partie costume, nous étions trois : il y avait une stagiaire de l’ENSATT, guyanaise d’origine et Sueli qui s’occupait des costumes au théâtre. J’ai apprécié leur présence et leur soutien. Ensemble, nous avons beaucoup travaillé et nous sommes même allés à Paramaribo, acheter du matériel. La rencontre avec le bagne aussi était particulière, car j’en avais entendu parler, mais il ne faisait pas parti de ma réalité.

Aujourd’hui, je reviens et tout cela est encore présent, mais ce qui me paraissait être l’aventure il y a sept ans est devenu la maison. Depuis ce premier projet, je reviens quasiment tous les ans. J’ai pris mes habitudes. La case costume a pris de l’ampleur et s’est professionnalisée et le camp m’est devenu plus familier.

Y a-t-il un spectacle qui vous a plus marqué qu’un autre ?

J’ai fait deux fois des sorties de promotions, deux fois du Shakespeare. Et j’ai également travaillé sur les créations du centre dramatique, en particulier sur les textes de Gustave Akakpo. C’est une rencontre littéraire qui m’a marqué, même si je ne l’ai jamais rencontré en vrai. Je trouve que ses textes sont vraiment très contemporains, tout en étant faciles d’accès et sans renoncer à l’exigence au niveau de l’écriture. C’est un peu mon idéal de théâtre contemporain, qui raconte avec une langue nouvelle, des choses d’aujourd’hui. Parce que ce n’est pas juste un auteur africain, c’est un auteur d’aujourd’hui et je trouve qu’il y a une certaine résonance de ses textes ici. A chaque fois c’est un plaisir de voir la mise en scène qu’en fait Ewlyne Guillaume et le travail des comédiens.

Quelles sont vos projets ?

Pour moi, c’est une année assez particulière, parce que cela fait dix ans que j’ai commencé à travailler. J’ai rempli les objectifs que je m’étais fixés professionnellement. C’est donc le bon moment pour faire le point et voir comment j’ai envie de mener ma carrière pour les dix prochaines années. Il y a potentiellement un projet avec Jacques Martial à la saison prochaine, pour lequel je ferais les costumes. Et je trouve assez génial de collaborer à nouveau avec Jacques, en Guyane, sur un spectacle très différent, mais qui sera aussi très beau.

Et puis j’ai aussi envie de donner plus de place à ma compagnie, je pense que je me plairais à répartir mon temps autrement. Peut-être présenter quelque chose en Guyane, au centre dramatique. J’aimerais beaucoup.

Dramaturge et Metteur en scène

Comment êtes-vous venu au théâtre ?

Je suis né au Togo et je ne me destinais pas du tout à faire du théâtre. J’ai l’habitude de dire que je ne suis pas venu au théâtre, c’est le théâtre qui est venu à moi. J’avais une grand-mère, qui me racontait beaucoup d’histoires, de contes. Enfant, je voulais être une grand-mère, parce que pour moi, il fallait être grand-mère pour raconter des histoires. Finalement, c’est le théâtre qui s’est imposé, parce que j’ai fait des rencontres littéraires, qui m’ont marqué. Je me souviens d’une phrase de Césaire, que j’ai lu à 16 ans : « ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche et ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». J’aimais déjà bien écrire, mais pour la première fois, je me suis dit que je pourrais écrire des textes destinés aux autres.

A côté, j’ai fait du théâtre en amateur au collège, au lycée puis à la fac de droit. C’était important, car ayant grandi sous une dictature, à l’adolescence, j’ai vécu les révoltes populaires et parmi les étincelles de cette révolte, il y avait des gens qui faisaient du théâtre. Un théâtre engageant, où on parlait de politique, de la société, alors qu’on avait absolument aucune liberté de parole ou de pensée. Il m’est apparu comme un espace formidable de liberté et ça m’a donné envie d’écrire du théâtre. Cela m’a aussi donné l’opportunité de voyager en Afrique et en Europe, et puis un jour je me suis dit « et bien tu n’es plus en train de faire des études de droit, tu fais du théâtre ».

Quand avez-vous décidé d’en faire votre métier ?

Je parlerais de ma première pièce de théâtre « catharsis », qui a été mon acte de naissance au monde. Ma naissance officielle, je n’y ai pas consciemment « contribué » ; et je pense qu’à un moment, on doit se poser la question : quels sens on donne à sa vie ? Je suis né en Afrique, un continent que l’on dit sous-développé, émergeant ou en voie de développement selon les évolutions du politiquement correcte… Tu nais déjà quelque part, où on te dit que tu es en dessous et en plus dans une dictature. Tout cela me déprimait énormément. Adolescent, j’avais lu un livre sur le suicide rituel des sikhs en Inde et je me suis posé la question d’habiter la vie ou pas. Dans les sociétés traditionnelles les rituels initiatiques sont importants, même s’ils peuvent être dangereux, car quand tu en es sorti, tu sais pourquoi tu vis. Écrire catharsis a été pour moi une manière de faire le point, de faire le choix de la vie. D’ailleurs la pièce se termine par un accouchement.

Racontez-nous votre rencontre avec le centre dramatique Kokolampoe.

Ma rencontre avec le Centre dramatique, c’est venu par Ewlyne Guillaume, qui en découvrant mes pièces a eu envie de les monter. Elle a vu dans les sujets abordés et ma manière de travailler la langue, une possibilité que ça résonne fort ici. Il existe un lien entre les anciennes colonies françaises, restées dans la France ou affranchies, dont on ne parle pas dans l’histoire générale transmise. La colonisation a été un choc violent entre une Afrique, qui était sur sa propre lancée et l’Occident. Et ce lien se retrouve dans la question du métissage par exemple. Les mythes, les cultures africaines, les savoir-faire africains, on commence à peine à les redécouvrir. Il y a eu comme un trou dans l’histoire. Je crois qu’il y a aussi quelque chose de cet ordre ici, de cette violence qui n’est pas encore catharsisée.

Ça m’a marqué, lorsque j’ai rencontré les comédiens, qui ont joué la première de mes pièces montées ici « à petites pierres ». Dans cette pièce, à partir de l’imaginaire nouchi, j’ai travaillé une langue française, ivoirienne, très créolisée. J’ai été très touchée que ça leur parle, cette construction, cette manière de tordre la langue. Mais aussi dans les sujets qui sont abordés : la confrontation entre tradition et société contemporaine, les pulsions de vie de la jeunesse en butte au statu quo des anciennes générations, tout cela parlait individuellement aux comédiens. J’en suis encore très ému.

Quels sont vos projets pour 2021 ?

Évidemment, car le covid a bouleversé plein de choses. Lors du premier confinement, j’étais à Paris et cela m’a fait du bien. J’étais avec ma famille et je me suis ressourcé. Je ne me posais pas la question de l’écriture. Mais après, j’ai eu une vraie panne d’écriture, parce que je me demandais : « à quoi bon écrire ? » Comme si tout était vain. Heureusement que j’avais des projets avec d’autres personnes. Notamment un projet sur la diversité, sous forme de fausse conférence. Nous sommes trois écrivains sur ce projet. Il avait été décalé l’an dernier, mais nous avons quand même pu jouer devant un public de professionnels en décembre. Les retours ont été positifs, mais avec la situation sanitaire, plusieurs dates ont déjà été annulées ou reportées. Je travaille également sur un roman pour ado. C’est la suite de la véridique histoire du petit chaperon rouge : la véridique histoire des ogres, faisant écho à tout ce qui se passe en ce moment.

On navigue tous un peu à vue et je suis assez inquiet ; ne serait-ce que par rapport à ce débat, qui n’a aucun sens, sur ce qui serait essentiel ou non. Peu importe ce que l’on pense, une graine a été semée dans l’esprit des gens. En même temps, cette inquiétude, c’est bon signe, parce que ça veut dire que j’ai envie de me battre et de rester debout.

Administratrice de la compagnie Ks and Co et du Centre dramatique Kokolampoe

Quel est votre rôle auprès du centre dramatique et de la compagnie ?

Un administrateur de spectacle vivant s’occupe de la gestion administrative et financière du projet artistique. Ce qui englobe plusieurs missions. De plus, nous sommes une petite structure : 9 salariés permanents et une vingtaine d’intermittents. De ce fait, le champ de mes activités est assez étendu :

  • La gestion des ressources humaines, que ce soit pour les salariés permanents ou pour les artistes et techniciens intermittents du spectacle. Notamment lorsque nous accueillons d’autres compagnies. D’ailleurs, lorsque les artistes viennent de l’étranger, c’est aussi d’autres démarches administratives (avec la Direction du travail, les consulats, etc.). Faire venir des artistes du Japon, du Brésil ou des États-Unis c’est une autre culture de la GRH à maîtriser. Mais c’est très intéressant.

Avec l’équipe, nous accompagnons aussi nos étudiants et jeunes professionnels, dans la recherche de financement et pour l’amélioration de leur expérience globale au sein de la structure. C’est un projet qui travaille avec l’humain, on ne peut pas l’en détacher. C’est pourquoi, nous essayons de lever tous les freins sur leur parcours et de les accompagner dans leur professionnalisation.

  • Le conventionnement avec le ministère de la culture et la gestion des relations avec les collectivités territoriales, les partenaires privés et bien sur la ville de Saint-Laurent du Maroni.
  • La recherche de financements pour la programmation de saison, les résidences, la création ou la co-production de spectacles.
  • Les relations avec le public, qu’il soit scolaire, professionnel ou issu de la société civile. Je communique sur la diffusion, organise des rencontres avec les artistes, assure l’enregistrement des réservations et l’accueil des spectateurs lors des représentations.
  • La stratégie globale de communication, en lien avec les salariés dont c’est la mission et les prestataires.
  • La logistique d’accueil, de transport, d’hébergement et de restauration pour les équipes qui arrivent en Guyane et mais aussi lorsque nous partons en tournée ou en mission.

 

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler pour le Centre dramatique ?

Dès le départ, j’ai été attirée par les métiers de la culture. J’ai d’abord fait un DEUG d’histoire de l’art, puis une licence pro aux métiers des arts et de la culture à l’Université d’Avignon et des pays du Vaucluse. Qui dit être étudiant à Avignon, fait qu’on peut difficilement passer à côté du festival. Que ce soit l’engagement associatif, les stages ou les jobs d’été, tout tourne autour du théâtre. Dans un premier temps, je me destinais plutôt à la médiation culturelle, mais l’expérience du montage de projet artistique m’a fait m’orienter vers un master administration /gestion de projets culturels à l’Université d’Aix. C’est durant cette année d’étude, que j’ai eu l’opportunité de m’inscrire pour un master 2 proposé par l’Université Paris Dauphine aux opérateurs professionnels Guyanais, mais ouvert à quelques étudiants en formation initiale.

Nous sommes donc en 2006 et j’arrive à Saint-Laurent du Maroni, en tant qu’étudiante. C’est ainsi que j’ai rencontré Ewlyne Guillaume et Serge Abatucci, co-directeurs de la compagnie Ks and Co. Dans cette promo il y avait également Vanina Lanfranchi et Didier Urbain de l’Atelier Vidéo Multimédia et du Pôle Image Maroni, Mickaël Christophe pour le Festival Les Transamazoniennes, etc.

Je suis partie en Guyane en me disant, c’est une super opportunité. Je souhaitais faire ma dernière année de formation, ailleurs et découvrir tout à fait autre chose. Je ne connaissais pas la Guyane, mais si ça me plaisait, j’étais prête à rester et voir les possibles. J’ai eu l’opportunité de faire mon stage de fin de master au sein de la compagnie Ks and Co. L’objet de mon stage était le conventionnement « scène conventionnée » avec le Ministère de la culture. Depuis nous avons développé avec Ewlyne et Serge le projet du Centre dramatique Kokolampoe aujourd’hui scène conventionnée d’intérêt national. J’ai pu assister au premier Festival des Tréteaux du Maroni en tant que spectatrice et dès 2007 en tant que membre de l’organisation.

 

Quelle est la spécificité du Centre dramatique ?

Le centre dramatique Kokolampoe a signé une convention d’objectifs avec le Ministère de la culture, et la Ville de Saint-Laurent du Maroni. « Scène conventionnée d’intérêt national » est donc une appellation nationale, comme peuvent en être titulaire d’autres lieux de diffusion. La compagnie KS and Co est elle aussi conventionnée, de façon pluriannuelle. C’est également un label qui existe au national.

La particularité du Centre dramatique Kokolampoe, c’est qu’il n’est pas un dispositif national déposé sur un territoire. Il s’est construit autour d’un projet artistique. Pour la réalisation de ce projet nous développons un certain nombre d’activités, d’où par exemple la nécessité de former et de contribuer à former des professionnels, qui permettent de faire évoluer nos structures. De là, la création du TEK (Théâtre École Kokolampoe), le travail avec l’ENSATT Lyon, le CFPTS à Bagnolet et aujourd’hui avec l’Université de Guyane tombe sous le sens.

Nous sommes amenés en même temps que la recherche et la formation de collaborateurs, à penser aussi les infrastructures.

Ainsi les locaux qui abritent le théâtre ont beaucoup évolué à depuis 2003, date à laquelle s’est installée KS and CO dans le Camp de la Transportation. C’est un défi permanent car il faut trouver des fonds pour donner vie à une structure qui n’a pas son équivalent sur le territoire national. Le premier partenaire qui a véritablement permis d’initier des travaux d’investissement est le programme leader, fond européen animé par la CCOG et porté à l’époque par la Direction de l’Agriculture et des forêts. Cette subvention a été un levier pour nous permettre d’aménager la Case 8 en véritable théâtre. La ville de Saint-Laurent, la Direction des Affaires Culturelles de Guyane et la Fondation EDF ont également été des partenaires importants.

 

Quelles sont vos projets de développement ?

Notre ambition est de continuer à développer les mises en réseau entre les jeunes acteurs et artistes guyanais et les établissements et équipes artistiques de la Grande Région Antilles-Amazonie et d’Europe, de développer des coproductions avec des artistes du territoire et d’ailleurs.

Par exemple, en 2021, nous nouons des partenariats forts avec le Théâtre des Calanques à Marseille, la Maison de la Poésie, Centre de créations pour l’Enfance à Reims, le Théâtre des Halles à Avignon, ETC Caraïbes, Tropiques Atrium, scène nationale de Martinique, etc.

Nous continuerons de développer l’offre de formations aux métiers du spectacle. Nous projetons déjà avec Laurent Gutman, directeur de l’ENSATT Lyon l’ouverture d’une licence professionnelle. Nous réfléchissons avec l’Université de Guyane à l’offre de formation pour les cinq prochaines années.

Nous sommes également partenaires du Diplôme Universitaire de l’Université des Antilles Ingénierie et Administration du Spectacle Vivant, auquel je participe en tant que membre de l’équipe pédagogique.

Le fait est que nous sommes sans cesse dans l’empirique, le départ de la réflexion étant toujours le projet artistique, autour duquel s’articulent les axes de développement. C’est ce fonctionnement atypique et ancré sur le territoire qui fait notre rayonnement.

[textblock style=”3″]Comme l’oiseau, c’est l’histoire d’une famille guyanaise ordinaire, qui se retrouve prise au piège d’un trafic de drogue. Lors de la résidence de la compagnie Maztek en septembre 2020, Bérékia Yergeau, metteure en scène de la pièce, nous a fait le plaisir de nous en dire quelques mots.[/textblock]

Comme loiseau - ©Véronique Norca-Kokolampoe-saison-2020-2021-St-laurent du Maroni

Comme l’oiseau – © Véronique Norca

Pourquoi ce sujet ?

Je dirais d’abord que je me suis intéressée au sujet par curiosité. Vu mon parcours, ma classe sociale et ma condition, j’ai énormément de difficultés à comprendre comment des gens peuvent se risquer pour si peu ? dès lors a commencé mon questionnement. Comment est-ce qu’en 2020 on peut être dans un pays des plus riches sur terre et avoir des gens, au-delà d’être prêts à prendre le risque, on cette nécessité de le prendre ?

J’utilise ce sujet comme prisme d’un questionnement sur tout le poids social qui pèse sur nous, ce qu’on accepte de faire ou d’ingérer, pour y répondre. Moi, j’ai grandi au Canada et je fais le parallèle avec des affiches publicitaires pour participer à des études pharmaceutiques, dans les bus. Si tu es un peu mal dans ta vie, tu peux être tenté. C’est très bien payé, mais c’est aussi très dangereux et si ça se ne se passe pas bien, tu ne pourras pas revenir en arrière.

Comment avez-vous construit l’histoire ?

Je travaille sur ce projet depuis 2017. Il a débuté par une enquête, où j’ai cherché à rencontrer des personnes qui avaient déjà suivi le processus, des parents dont les enfants étaient en prison, des ex-détenus qui donnaient leur point de vue sur la réinsertion. Cette année-là, j’ai également commencé l’écriture du texte.

Comment s’est déroulé le processus de création ?

C’est une production itinérante, qui a permis des collaborations dans des lieux différents, avec des personnes d’horizons différents. C’était une dynamique importante du projet, qui a ajouté aux propos et fait sens sur la notion d’itinérance, de parcours et de cheminement des personnages.

Nous avons joué pour la première fois au théâtre Kokolampoe en 2019, puis nous avons fait une pause d’un an, jusqu’en aout 2020. Lors de la résidence de septembre, au centre dramatique, nous avons approfondi le travail d’écriture : précisé la consistance des personnages, leur évolution, leurs motivations. Nous avons aussi travaillé sur la mise en scène, accompagné de Serge Abatucci ; ainsi que sur les costumes avec Léa Magnien et la chorégraphie avec Muriel Merlin.

Comment avez-vous choisi les acteurs ?

À la base, Roland Zeliam, Noémie Petchy et Anahita Gohari sont trois personnes avec qui j’avais vraiment envie de travailler. Je trouvais intéressant d’avoir trois générations sur le plateau. Car souvent on a tendance à associer les mules aux jeunes uniquement, or selon moi, ce n’est pas vrai. Leurs choix éclaboussent la réalité de leur entourage/société. Ils sont nés d’une situation politique et économique précaire, qui était là bien avant eux et qui concerne toutes les générations.

Au-delà de ça, dans la démarche de constitution de l’équipe artistique, j’avais envie de collaborer avec un maximum « d’acteurs » de Guyane ; des personnes encrées dans leur territoire.

Si vous avez manqué la représentation du mois de novembre, jouée à guichets fermés, réjouissez-vous ! D’autres dates sont prévues en février 2021 et un projet de court-métrage avec le réalisateur guyanais Marvin Yamb est à venir.

Retrouvez toutes les informations dans la newsletter de janvier. D’ici là, toute l’équipe du centre dramatique vous souhaite de joyeuses fêtes !

Acteur et Metteur en scène

Quelle est l’histoire de votre rencontre avec le Centre dramatique ?
Ce sont d’abord des messages et des images vus sur les médias sociaux : Serge Abatucci et Ewlyne Guillaume créant une école, puis un festival de théâtre, les tréteaux du Maroni. Moi, je suis à Paris, je préside l’établissement public du parc de la Villette. Ça faisait longtemps que je ne n’étais pas venu en Guyane, mais vu de Paris, Saint-Laurent pour un festival, ça fait loin.
Et puis, quelques temps après, à la soirée d’ouverture du « festival in d’Avignon », le directeur de l’ENSAT Thierry Pariente, me parle à nouveau de ce lieu, qu’il trouve très intéressant, dirigé par Serge et Ewlyne. Il souhaite leur proposer ma participation à un projet. Je m’étais renseigné sur le centre, sa diversité culturelle et le travail fait avec les businenges, alors immédiatement j’ai dit « formidable, j’ai LE projet ». Cette proposition à Avignon a précipité tout ce savoir sous-jacent, mes souvenirs d’écolier dans les années soixante – soixante-dix en Guyane, ma connaissance du territoire et de mon intérêt pour le peuple businenge. Tout cela s’est ordonné et mis en place dans une vision claire.

Que représente le Centre pour vous ?
Le centre pour moi, c’est la concrétisation de projets, qu’à titre personnel je portais depuis toujours. C’est le lieu magique de tous les possibles. Lorsque l’on réfléchit un projet à partir du centre, le rêve le plus fou devient à la bonne mesure du lieu et de ce qu’il permet.

Diriez-vous que Saint-Laurent est trop loin de Paris ?
Je dirais plutôt : « est-ce que Paris est loin de Saint-Laurent ? ». Le centre, pour moi est à Saint Laurent et pas à Paris. C’est d’ici, que part son énergie, c’est d’ici, que les choses se mettent en mouvement, que le rêve se crée, que les projets se réfléchissent. Ce n’est pas l’inverse.
Il y a un film de Alain Tanner, « Le milieu du monde », dont les premiers mots sont : « Il y a autant de milieux du monde que de personnes qui s’aiment ». Kokolampoe est son propre milieu.

Y a-t-il des projets à venir avec le Centre ?
Il y a la continuation « Songe d’une nuit d’été » de Shakespeare, qui pour moi est un projet et un spectacle exemplaire ; dans la façon dont il a été pensé, mis en œuvre et son résultat artistique. La suite, dont je rêve, est de continuer à tisser le fil de cette exemplarité, qui invente et se réinvente avec force, puissance, mais aussi fragilité. Il s’agit de conserver cette fragilité, tout ce qui nous émeut en pensant à ce projet et en même temps lui permettre de grandir.

Quelle est votre vision pour le théâtre en Guyane ?
Ma vision pour la Guyane, c’est ma vision pour le théâtre : que le théâtre se fasse, se joue, qu’il y ait des compagnies et des spectacles, des spectateurs qui viennent dans les salles. Je n’ai pas de « principes extérieurs ». Le théâtre guyanais existe, c’est celui qui se joue aujourd’hui. L’envie, le désir, c’est qu’il y en ait plus, plus de public et de pièces formidables. La première pièce est importante, mais la deuxième, la troisième, la millième, sont essentielles.

Ce que je ressens de Saint-Laurent du Maroni à chaque fois que j’y viens, c’est que c’est un chaudron où quelque chose est en train de bouillir. Il s’y passe quelque chose de magique, de mystérieux, d’essentiel, sans faire d’esbrouffes, mais ça se passe et ça avance. Saint-Laurent est libre d’inventer et elle le fait.